

Le Singe proconsul -23 Ma

Imaginez l'Afrique de l'Est, il y a environ 23 millions d'années. Bien avant l'apparition des humains modernes, cette région luxuriante abritait une fascinante diversité de primates. Parmi eux, deux genres se distinguent comme des acteurs clés dans la grande histoire de l'évolution : Proconsul et Ekembo. Considérés comme des membres très anciens de la superfamille des hominoïdes (le groupe qui inclut les grands singes et les humains), ces créatures nous offrent un aperçu précieux des premières étapes de notre propre lignée.
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Découvert au début du XXe siècle, Proconsul a longtemps été une énigme. Grâce à des décennies de recherches, notamment par les célèbres paléontologues Louis et Mary Leakey sur l'île de Rusinga au Kenya, nous savons maintenant beaucoup de choses sur ces primates. Récemment, les scientifiques ont même affiné la classification : les fossiles trouvés à Rusinga et sur l'île voisine de Mfangano, autrefois appelés Proconsul, sont désormais classés dans un genre distinct, Ekembo, car ils présentent des différences subtiles mais constantes avec les fossiles plus anciens trouvés ailleurs, qui restent dans le genre Proconsul.
Ce qui rend Proconsul et Ekembo si intéressants, c'est leur mélange unique de caractéristiques. D'un côté, ils possédaient des traits "modernes" pour l'époque, typiques des hominoïdes : ils n'avaient pas de queue externe et leur articulation du coude était stabilisée, un peu comme la nôtre. Mais d'un autre côté, beaucoup de leurs caractéristiques rappelaient davantage les singes "classiques" : leur corps était plutôt étroit, leur colonne vertébrale longue et souple, et leurs poignets moins mobiles que ceux des grands singes actuels, indiquant qu'ils ne se suspendaient probablement pas aux branches comme les orangs-outans ou les gibbons. Ils illustrent parfaitement ce que l'on appelle l'"évolution en mosaïque" : tous les traits n'évoluent pas en même temps.
Il existait aussi une grande variété de tailles : la plus petite espèce, Ekembo heseloni, pesait environ 10-15 kg (la taille d'un petit singe), tandis que la plus grande, Proconsul major, pouvait atteindre 50 à 80 kg, soit la taille d’un gorille femelle ! Cette diversité suggère qu'ils occupaient différentes niches écologiques dans leur environnement forestier.
Oubliez l'image d'Épinal de nos ancêtres évoluant dans la savane ! Proconsul et Ekembo vivaient bien avant l'expansion des grandes prairies africaines. Au Miocène inférieur et moyen, l'Afrique de l'Est était bien plus chaude et humide qu'aujourd'hui, couverte de vastes forêts. Les fossiles de Proconsul et Ekembo sont systématiquement trouvés dans des sites qui étaient autrefois des forêts tropicales humides ou des forêts saisonnières plus sèches. Cela montre que les premières étapes de l'évolution des hominoïdes se sont déroulées dans un cadre arboricole.
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Leur squelette nous donne des indices précieux sur leur mode de vie. Avec leurs quatre membres de longueur similaire et leurs poignets peu flexibles, Proconsul et Ekembo étaient principalement des quadrupèdes arboricoles : ils se déplaçaient à quatre pattes, mais sur les branches, plutôt qu'en se balançant dessous. Ils étaient sans doute d'habiles grimpeurs, utilisant leurs mains et pieds puissants pour s'agripper fermement, mais de manière plus "prudente" que les acrobates que sont les grands singes actuels.
Leur régime alimentaire ? Leurs dents nous répondent : l'émail mince et les pointes (cuspides) basses et arrondies de leurs molaires suggèrent qu'ils se nourrissaient principalement de fruits tendres. Peut-être complétaient-ils ce menu avec quelques feuilles tendres. Des analyses plus poussées, comme l'étude microscopique de l'usure dentaire ou l'analyse chimique (isotopes stables) de l'émail, pourraient nous en dire encore plus sur leur alimentation exacte.
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Proconsul et Ekembo ne sont probablement pas nos ancêtres directs. Ils représentent plutôt une branche cousine, une "expérimentation" évolutive qui s'est éteinte. Cependant, leur importance est immense. Ils sont parmi les premiers et les mieux connus des hominoïdes fossiles. Leur anatomie mixte nous montre que la perte de la queue est survenue tôt dans notre lignée, bien avant les adaptations à la suspension ou à la marche bipède. En étudiant ces fossiles, nous pouvons imaginer à quoi ressemblait l'ancêtre commun que nous partageons avec les chimpanzés et les gorilles : probablement un primate arboricole, quadrupède, sans queue et mangeur de fruits.
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Proconsul et Ekembo nous rappellent que l'évolution n'est pas une ligne droite, mais un buisson foisonnant d'essais et d'adaptations. Ils sont une fenêtre ouverte sur un passé lointain, nous aidant à reconstituer les premières pages de la longue et fascinante histoire de l'évolution des primates, dont nous sommes l'un des chapitres actuels