
Genèse du bassin houiller stéphanois
Introduction :
Le bassin houiller stéphanois, également connu sous le nom de bassin houiller de la Loire, représente une entité géologique et historique d'une importance capitale pour la France. S'étendant sur environ 50 kilomètres de Firminy au sud-ouest à Rive-de-Gier au nord-est et couvrant une superficie de 220 km2, il est géographiquement encaissé entre les massifs cristallins des monts du Lyonnais au nord et du Pilat au sud. Berceau de l'exploitation charbonnière en France, avec des premières traces remontant au XIIIe siècle , il fut le principal producteur national de charbon durant la première moitié du XIXe siècle , jouant un rôle pionnier et moteur dans la Révolution Industrielle française. L'importance de ce bassin ne se limite pas à son rôle d'extraction ; il fut le creuset de l'industrialisation stéphanoise, façonnant de manière indélébile son économie, sa structure sociale, son urbanisme et son identité culturelle sur plusieurs siècles. La longue et complexe histoire de sa reconversion post-industrielle en fait aujourd'hui un cas d'étude significatif des dynamiques de résilience et de transformation territoriale.
Ce rapport se propose de fournir une analyse complète et multi-scalaire du bassin stéphanois (308 Ma - 298 Ma - Echelle Chronostratigraphique France), depuis sa genèse géologique durant la période du Carbonifère.
La compréhension des origines géologiques du bassin houiller stéphanois est un préalable indispensable pour appréhender l'histoire de son exploitation et les défis de sa reconversion. Sa formation durant le Stéphanien , période terminale du Carbonifère, a déterminé la nature, la quantité et la disposition des ressources charbonnières qui ont façonné le destin de la région.
A. Le Contexte Géologique du Stéphanien : Formation, Structure et Lithologie du Bassin.
Le terme "Stéphanien" lui-même tire son nom et sa définition historique du bassin de Saint-Étienne, en raison de la richesse et de la clarté des successions de flores fossiles qu'il renferme. Sur le plan lithostratigraphique, le bassin se présente comme une vaste accumulation de terrains sédimentaires, atteignant une épaisseur considérable de 2 500 à 3 000 mètres. Ces sédiments, principalement constitués d'une alternance de grès, de schistes, de conglomérats, de brèches et, bien sûr, de couches de charbon, reposent directement sur un socle cristallin ancien.
D'un point de vue structural, le bassin houiller stéphanois dessine la forme générale d'un synclinal, c'est-à-dire un pli concave, qui est de plus dissymétrique. Cette structure est significativement affectée par des accidents tectoniques majeurs, notamment la grande faille du Pilat qui le cisaille et le délimite au sud, et il est encaissé entre les reliefs des Monts du Lyonnais au nord et le massif du Pilat au sud. De nombreux autres plis et failles de moindre amplitude parcourent également le bassin, témoignant d'une histoire tectonique active.
La stratigraphie du bassin se décompose en plusieurs grandes unités, appelées assises, qui se sont déposées successivement. De la plus ancienne à la plus récente, on distingue principalement :
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L'Assise de Rive-de-Gier, datant du Stéphanien Inférieur (307 ma), qui se trouve en contact avec le socle. Elle est caractérisée par la "Brèche de base" ou "Brèche de La Fouillouse", un amas chaotique de blocs granitiques et métamorphiques, et le "Faisceau de La Péronnière" comprenant des schistes gréseux et des couches de charbon.
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L'Assise de Saint-Étienne, du Stéphanien Moyen (303 Ma), qui comprend au sud de la faille la "série du Treuil" (sédiments fins schisto-gréseux avec de nombreuses couches de charbon) et au nord la "série de la Talaudière" (formations torrentielles et conglomératiques avec un faisceau charbonnier).
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L'Assise d'Avaize, également appelée "Série de La Ricamarie", datant du Stéphanien Supérieur (298 Ma) . Elle est composée de schistes et de grès feldspathiques renfermant une douzaine de couches de houille.
La complexité tectonique du bassin, marquée par ces plis et ces nombreuses failles, a eu des conséquences directes et significatives sur l'exploitation ultérieure du charbon. Cette structuration a inévitablement compartimenté le gisement, rendant son exploration et son extraction plus ardues et fragmentées. Les failles, comme celle du Pilat, ont pu créer des rejets importants, décalant les veines de charbon et compliquant leur suivi. De plus, l'activité tectonique post-sédimentation a pu influencer localement la qualité (le rang) et l'épaisseur des couches de charbon en modifiant les conditions de pression et de température subies par la matière organique. Cette fragmentation géologique explique en partie pourquoi le bassin a été initialement exploité par une multitude de petites concessions avant que des regroupements plus importants ne s'opèrent. L'histoire de l'exploitation minière stéphanoise est donc indissociable d'une lutte constante contre une géologie intrinsèquement complexe, nécessitant des adaptations techniques permanentes et une connaissance géologique fine du sous-sol.
B. Paléoenvironnements et Conditions de Dépôt du Charbon.
Les couches de charbon du bassin stéphanois se sont formées à partir de l'accumulation massive de débris végétaux dans des environnements sédimentaires spécifiques du Stéphanien. Les données géologiques indiquent que ces dépôts sont principalement des formations détritiques continentales. Plus précisément, l'analyse des différentes assises révèle une succession de paléoenvironnements allant de systèmes torrentiels à des plaines fluvio-palustres ou fluvio-lacustres.
L'Assise de Rive-de-Gier, la plus ancienne, témoigne de conditions de dépôt initiales marquées par une forte énergie, avec la présence de brèches et de conglomérats issus de l'érosion des reliefs environnants et de possibles glissements de terrain. Il est notable que des dépôts de charbon se trouvent parfois en contact direct avec le socle cristallin au sein de cette assise, suggérant une accumulation de matière organique dans des dépressions piégées au pied des reliefs.
Par la suite, les conditions évoluent vers des environnements de plus faible énergie, propices à la sédimentation fine et à la préservation de la matière végétale. Les Assises de Saint-Étienne et d'Avaize sont ainsi caractérisées par des dépôts de grès fins, de pélites (argiles et silts) et d'épaisses couches de charbon, typiques de plaines d'inondation parcourues par des rivières (fluvio-palustres) ou de systèmes de lacs et de marécages (fluvio-lacustres). C'est dans ces milieux que la végétation carbonifère a pu prospérer.
À l'échelle globale, le Carbonifère est connu pour ses vastes forêts pluviales luxuriantes et très diversifiées. Ces forêts se développaient préférentiellement en bordure de mer, dans les deltas, le long des berges des rivières et des fleuves, ainsi que dans les vallées abritant des lacs, notamment dans les régions montagneuses nouvellement formées par l'orogenèse hercynienne. Ces environnements humides et chauds offraient des conditions idéales pour une production massive de biomasse. L'accumulation et la fossilisation de cette matière végétale, sous des conditions anaérobies (pauvres en oxygène) et sous l'effet de l'enfouissement progressif par de nouveaux sédiments, ont conduit à la formation des veines de charbon. Les variations observées dans la nature des roches associées au charbon (conglomérats, grès grossiers ou fins, schistes) reflètent les fluctuations de ces environnements de dépôt, passant de chenaux fluviatiles actifs à des zones marécageuses calmes.
L'alternance rapide de dépôts grossiers, comme les conglomérats de l'Assise de la Talandière , et de séquences fines riches en charbon, typiques des Assises de Saint-Étienne et d'Avaize , suggère une dynamique sédimentaire contrôlée par une instabilité tectonique notable durant le Stéphanien. Les phases de sédimentation grossière, souvent torrentielles, indiquent des périodes de soulèvement des reliefs bordiers du bassin, entraînant une érosion active et un apport important de débris. Inversement, les périodes de formation du charbon nécessitent une subsidence relativement stable du bassin pour permettre l'accumulation et la préservation de la matière organique dans des plaines inondables ou des lacs. Cette succession de phases de soulèvement/érosion et de subsidence/sédimentation fine est caractéristique des bassins intramontagneux actifs. Une telle dynamique a dû influencer directement la géométrie des couches de charbon, favorisant la formation de lentilles de charbon d'épaisseur et d'extension variables plutôt que des couches continues et uniformes sur de vastes étendues. Cette hétérogénéité a nécessairement complexifié les stratégies d'exploration et d'exploitation minière ultérieures.
C. La Flore Fossile : Indicateur Paléoclimatique et Biostratigraphique.
La flore fossile du bassin houiller de Saint-Étienne est d'une richesse et d'une importance scientifique considérables. Elle a non seulement servi de base à la définition même de l'étage Stéphanien , mais elle constitue également un précieux indicateur des conditions paléoclimatiques et un outil essentiel pour la biostratigraphie (datation relative des couches géologiques). L'ouvrage de référence "La flore fossile du bassin houiller de Saint-Étienne" par Doubinger et al. (1995) a d'ailleurs proposé, sur la base de ces études floristiques détaillées, la création d'un nouvel étage, le Forézien, pour subdiviser le Stéphanien supérieur.
Au Carbonifère, les paysages terrestres étaient dominés par des groupes de plantes aujourd'hui disparus ou relégués à des rôles écologiques mineurs. Les forêts étaient luxuriantes, composées majoritairement d'arbres se reproduisant par spores, tels que les lycophytes géantes comme les Lepidodendron (qui pouvaient atteindre 40 mètres de hauteur) et les Sigillaria (dont des souches ont été retrouvées en place dans l'Assise d'Avaize), ainsi que de nombreuses fougères arborescentes du genre Pecopteris. Ces plantes prospéraient dans les milieux humides et chauds caractéristiques de cette période.
Chaque assise sédimentaire du bassin stéphanois possède une association végétale qui lui est propre, permettant de la caractériser et de la dater. Par exemple, la "flore de Rive-de-Gier" (Stéphanien Inférieur) est marquée par la présence de Pecopteris arborescens, Pecopteris lamuriana, Mixoneura ovata, Linopteris neuropteroides et de nombreuses Sigillaria cannelées. L'Assise de Saint-Étienne (Stéphanien Moyen) est, quant à elle, caractérisée par la "flore classique de Saint-Étienne" incluant des espèces comme Odontopteris reichiana, Alethopteris grandini, Callipteridium pteridium, et une grande diversité de Cordaites.
L'étude de ces flores fossiles est donc cruciale. D'une part, elle permet d'établir une chronologie relative précise des dépôts (biostratigraphie), essentielle pour corréler les différentes couches de charbon à travers le bassin. D'autre part, la nature et l'abondance de cette flore (arbres de grande taille, densité des forêts) témoignent d'un climat chaud et humide, propice à une forte productivité de biomasse, condition sine qua non à la formation des importants gisements de houille.
Un aspect particulièrement révélateur est l'"extraordinaire appauvrissement" de la flore observé dans les formations sommitales du bassin, correspondant au Stéphanien supérieur et potentiellement au début de l'Autunien (Permien inférieur). Cette raréfaction drastique de la diversité et de l'abondance végétales, qui ne s'accompagne pas de l'apparition significative d'espèces nouvelles, suggère un changement environnemental majeur. Cette observation locale à Saint-Étienne coïncide avec des données globales indiquant un "effondrement de la forêt pluviale du Carbonifère en raison de l'aridification et du refroidissement du climat" à partir d'environ 305,4 millions d'années. La fin du cycle de dépôt houiller intensif dans le bassin stéphanois est donc logiquement liée à cette diminution drastique de la production de biomasse. Cet appauvrissement floristique marque une transition paléoécologique majeure, signalant la fin des conditions optimales qui avaient permis l'accumulation des vastes réserves de charbon.