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Lucy -3,2 Ma

Il y a 50 ans, en novembre 1974, une découverte dans les terres arides de l'Afar, en Éthiopie, allait bouleverser notre compréhension des origines humaines. Une équipe internationale menée par Donald Johanson, Maurice Taieb et Yves Coppens mettait au jour un squelette fossile exceptionnellement complet, vieux de 3,2 millions d'années. Au son de la chanson "Lucy in the Sky With Diamonds" des Beatles qui tournait en boucle au campement, ce fossile fut affectueusement surnommé "Lucy". Son nom éthiopien, Dinknesh, signifie "tu es merveilleuse", un hommage approprié à l'importance de cette trouvaille.

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Lucy appartenait à l'espèce Australopithecus afarensis, des hominines qui ont vécu en Afrique de l'Est pendant près d'un million d'années. Avant Lucy, le débat faisait rage : qu'est-ce qui était apparu en premier dans notre lignée, la marche bipède ou un gros cerveau ? Lucy, avec son squelette conservé à 40%, a apporté une réponse spectaculaire.

Malgré son âge adulte (confirmé par ses dents de sagesse sorties et ses os fusionnés), Lucy était petite : à peine 1,10 mètre pour environ 29 kilos, la taille d'un enfant de 5 ans aujourd'hui. Son crâne, de la taille d'un pamplemousse, abritait un cerveau comparable à celui d'un chimpanzé, bien loin du nôtre. Son visage était projeté vers l'avant (prognathe) et sa cage thoracique, en forme de cône, ressemblait à celle des grands singes.

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Pourtant, du bassin aux pieds, Lucy était étonnamment moderne. Son bassin court et large, très différent de celui des singes quadrupèdes, était parfaitement adapté pour stabiliser le corps lors de la marche sur deux jambes. Ses fémurs s'inclinaient vers l'intérieur, plaçant ses genoux sous son centre de gravité, une caractéristique clé des bipèdes. Bien que ses pieds ne soient pas complets, les célèbres empreintes fossilisées de Laetoli, laissées par des Au. afarensis il y a 3,6 millions d'années, montrent une voûte plantaire et un gros orteil aligné, non préhensile – un pied fait pour marcher, pas pour agripper.

Lucy incarne parfaitement l'"évolution en mosaïque" : un mélange de traits anciens (petit cerveau, longs bras, doigts courbes adaptés à l'escalade) et de traits dérivés, plus proches de nous (bassin et genoux de bipède).

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Cette mosaïque anatomique suggère un mode de vie flexible. Lucy marchait assurément debout sur le sol, c'était sa locomotion principale. Mais ses longs bras puissants, ses doigts courbes et la structure de ses épaules (révélée par d'autres fossiles comme le jeune "Selam") indiquent qu'elle restait une grimpeuse compétente. Pourquoi grimper ? Peut-être pour trouver de la nourriture, échapper aux nombreux prédateurs (comme les félins à dents de sabre ou les hyènes) qui peuplaient son monde, ou dormir en sécurité la nuit. Cette capacité à évoluer sur deux terrains a sans doute été un atout majeur.

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Il y a 3,2 millions d'années, la région de Hadar n'était pas la savane aride que l'on imagine parfois. C'était un paysage varié, une mosaïque d'habitats fluctuant au gré du climat : forêts denses le long des rivières, zones boisées plus ouvertes, broussailles, prairies et vastes zones humides. Une faune incroyablement riche y prospérait : antilopes, girafes, hippopotames, éléphants primitifs, rhinocéros, cochons sauvages, singes, et bien sûr, de redoutables carnivores.

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Que mangeait Lucy dans ce monde? Son anatomie dentaire (grosses molaires à émail épais) suggère une capacité à broyer des aliments coriaces (graines, tubercules). Pourtant, l'analyse microscopique de l'usure de ses dents (la micro-usure) indique une consommation fréquente d'aliments plus tendres, comme des fruits et des feuilles. L'analyse chimique (isotopes du carbone) révèle en plus qu'elle intégrait à son régime des plantes typiques des milieux plus ouverts (herbes tropicales, laîches). Le tableau qui se dessine est celui d'un régime flexible, principalement végétarien, capable de s'adapter aux ressources disponibles, y compris en exploitant les environnements ouverts.

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Quant à sa vie sociale, le fort dimorphisme sexuel (mâles bien plus grands que les femelles) pourrait suggérer une compétition entre mâles pour les femelles. Cependant, leurs canines relativement petites (comparées à celles des gorilles mâles, par exemple) compliquent cette interprétation. La découverte de la "Première Famille" (site AL 333), avec les restes d'au moins 13 individus de tous âges, confirme qu'ils vivaient en groupe, même si les détails de leur structure sociale restent débattus.

L'impact de Lucy fut immense. Elle a prouvé que la bipédie était acquise bien avant l'augmentation de la taille du cerveau. Nos ancêtres se sont d'abord levés sur leurs deux pieds, et c'est bien plus tard que leur cerveau a commencé à grossir significativement. Cette découverte a renversé les théories établies et réorienté toute la recherche sur nos origines.

Lucy et son espèce, Au. afarensis, sont souvent considérés comme proches de l'ancêtre commun aux lignées Homo (la nôtre) et Paranthropus (des australopithèques robustes). Même si l'arbre généalogique humain s'est complexifié depuis, Lucy reste un jalon essentiel.

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Cinquante ans plus tard, Lucy demeure une icône scientifique et culturelle. Elle nous rappelle que l'évolution n'est pas une ligne droite, mais un processus complexe fait d'adaptations, de diversité et parfois, de découvertes fortuites qui éclairent notre lointain passé. Elle continue d'inspirer les chercheurs et de fasciner le public, témoignant de la longue et merveilleuse histoire de nos origines.

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