

Glaciation huronienne -2,3 Ga

La Glaciation huronienne est survenue entre 2,4 et 2,1 milliards d'années, durant l'ère Paléoprotérozoïque, elle est considérée comme la plus ancienne et l'une des plus longues périodes glaciaires de l'histoire terrestre, ayant duré environ 300 millions d'années.
À cette époque reculée, la Terre était méconnaissable. Les continents n'avaient pas leur forme actuelle et la vie se limitait à des micro-organismes primitifs. Surtout, le Soleil était plus jeune et environ 20 à 25 % moins lumineux qu'aujourd'hui. Paradoxalement, la Terre n'était pas gelée en permanence avant cette période. Pourquoi? Grâce à une atmosphère très différente, riche en gaz à effet de serre, notamment en dioxyde de carbone (CO2​) et surtout en méthane (CH4​), un gaz au pouvoir réchauffant bien supérieur. Ce "manteau" de méthane compensait la faiblesse du Soleil et maintenait des conditions relativement clémentes. L'oxygène libre (O2​), lui, était quasiment absent.
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Le basculement climatique semble avoir été déclenché par une innovation biologique majeure : la photosynthèse oxygénique. Des micro-organismes appelés cyanobactéries ont "appris" à utiliser l'eau et la lumière du Soleil pour produire leur énergie, rejetant de l'oxygène comme déchet. Pendant des millions d'années, cet oxygène a réagi avec les minéraux présents dans les océans et les roches. Mais vint un moment où la production d'oxygène dépassa la capacité de la planète à l'absorber : c'est le Grand Événement d'Oxydation (GOE).

Filamentous Cyanobacteria
Cet afflux d'oxygène eut deux conséquences dramatiques pour le climat. Premièrement, l'oxygène était un poison pour de nombreux organismes anaérobies de l'époque, y compris les archées méthanogènes qui produisaient une grande partie du méthane atmosphérique. Leur déclin réduisit la source de ce gaz. Deuxièmement, l'oxygène réagit chimiquement avec le méthane présent dans l'atmosphère, le transformant en CO2, un gaz à effet de serre bien moins puissant. Privée de son "manteau" de méthane et sous un Soleil encore faible, la Terre plongea dans un froid intense.
Les preuves géologiques de cette glaciation sont retrouvées sur plusieurs continents sous forme de dépôts glaciaires caractéristiques comme les tillites (d'anciennes moraines) et les dropstones (des rochers transportés par les icebergs et tombés au fond de l'eau). Fait remarquable, certaines de ces traces ont été découvertes dans des roches qui, d'après les données paléomagnétiques, se trouvaient à de très basses latitudes, près de l'équateur, au moment de leur dépôt.

​Dropstone :Diamictite de la formation néoprotérozoïque de Pocatello
Cela a conduit à l'hypothèse spectaculaire de la "Terre boule de neige" (Snowball Earth) : la planète aurait été presque entièrement recouverte de glace. Cependant, le débat scientifique fait rage. Était-ce une "boule de neige dure", complètement gelée, ou une "boule de neige fondante" ("Slushball"), avec quelques zones d'eau libre persistantes, notamment près de l’équateur ? Ces zones auraient pu servir de refuges cruciaux pour la vie microbienne.
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Cette période glaciaire extrême a sans aucun doute été un défi majeur pour la biosphère primitive. Elle a probablement causé une extinction massive des organismes anaérobies. Cependant, la vie a persisté, peut-être dans des sources hydrothermales sous-marines ou dans des poches d'eau liquide à la surface ou sous les glaciers. Paradoxalement, cette crise a pu être un moteur d'évolution. L'environnement post-glaciaire, plus oxygéné, aurait favorisé les organismes capables d'utiliser ce gaz pour respirer. Certains scientifiques pensent que cette période pourrait avoir joué un rôle dans l'émergence des eucaryotes (les cellules plus complexes dont nous sommes faits) et des premières formes de vie multicellulaire, bien que les preuves directes restent rares et débattues.
Comment la Terre est-elle sortie de cette prison de glace ? Grâce à son activité géologique interne. Même sous la glace, les volcans ont continué à cracher du CO2. Normalement, ce CO2 est consommé par l'altération des roches. Mais avec les continents recouverts de glace, ce processus était quasiment à l'arrêt. Le CO2 s'est donc accumulé lentement mais sûrement dans l'atmosphère pendant des millions d'années, jusqu'à ce que l'effet de serre devienne suffisamment puissant pour commencer à faire fondre la glace près de l'équateur. La fonte a alors exposé des surfaces plus sombres (océan, roches) qui absorbent plus de chaleur, accélérant le dégel dans une rétroaction positive rapide. Ce réchauffement brutal a entraîné une altération intense des roches et la précipitation massive de carbonates ("cap carbonates") que l'on retrouve souvent au-dessus des dépôts glaciaires.
La glaciation huronienne fut donc bien plus qu'une simple curiosité climatique. Elle illustre les liens profonds et parfois brutaux entre l'évolution de la vie, la chimie de l'atmosphère et le climat global, à une époque où notre planète subissait l'une de ses transformations les plus radicales.